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18 juin 2008

INTERVIEW DE PIERRICK CONTIN / EUROSPORT

Interview de Pierrick Contin, qui expose dans le cadre du Mois de a Photo, à Dol de Bretagne, du 7 au 22 juin 2008, réalisée pour Erosport le 6 juin à Hyères.

5/06/2008 - 20:00
Pierrick CONTIN, profession : photographe de mer
Voile

Sur toutes les mers ou les plans d'eau du globe, Pierrick Contin chasse depuis dix ans les images significatives de la voile de tous horizons, sportive en particulier. Entretien sur cette vocation qui doit allier l'esthétique aux réalités du métier...

Tout d'abord, comment percevez-vous l'environnement de la photographie de mer aujourd'hui ?

R : Je commencerai par un constat : la France est le premier pays en termes de concentration de photographes de mer. En fait, on trouve ça légitime et on n'y prête pas attention. C'est en allant travailler à l'étranger que je m'en suis aperçu, en côtoyant une pratique de la voile moins démocratique, articulée autour de gens plus aisés qui financent des bateaux et recrutent des pointures pour naviguer. En France, un jeune qui sort d'un milieu modeste peut quand même avoir accès à ce sport, trouvant des soutiens, s'il est motivé et s'il obtient des résultats. Pourquoi ? La raison est peut-être culturelle.

Comment êtes-vous venu à la photo de mer ?

R : Je suis né au bord de la mer et il y a donc eu une forme de respect et d'échange avec l'élément. J'ai naturellement abordé les choses comme une culture et non comme une pratique. Tout m'intéresse sur la mer : les paysages, le sport… Aujourd'hui, mon champ d'expression est le sport, l'action, et plus précisément l'émotion. Mon challenge est de me mettre dans les meilleures conditions pour aller saisir l'émotion chez les compétiteurs. Je dois les photographier en pleine action, dans une situation réelle et non de simulation. Bref, on est dans du vrai !

Justement, quelles sont les conditions de ces régates que vous devez suivre à Hyères, sur l'iShares Cup ?

R : On prend moins de risques quant à la météorologie ; Hyères est un spot connu pour accueillir tous les ans la Semaine olympique. Il a la particularité d'être longtemps navigable.

Quelle est votre mission sur l'Shares Cup ?

R : Je collabore avec l'agence DPPI. Ils ont un staff de trois photographes principaux, Vincent Curutchet, Jean-Marie Liot et Jacques Vapillon, et deux remplaçants, François van Malleghem et moi même. En l'occurrence, je couvre l'événement car iShares est un client de DPPI.

Comme les compétiteurs, vous avez un objectif de résultat ...

R : Oui. J'ai un brief, c'est-à-dire un cahier des charges regroupant leurs souhaits. En fait, ce sont des vœux qu'il faut adapter à la réalité car il y a les images de rêves mais nous ne sommes pas des magiciens ! Le challenge consiste donc à anticiper pour avoir un temps d'avance et saisir les scènes attendues.

Il faut parvenir à un compromis, entre les images corporates obligatoires et les situations imprévues qui vont offrir un angle inattendu...

R : J'ai un entraînement quasi quotidien depuis dix ans et ça m'aide car certaines choses sont inscrites dans l'inconscient. A force de travailler pour les clients, on finit par toujours penser à intégrer les demandes car les sponsors, indispensables à l'existence de la compétition, attendent un feedback. Ma mission est d'aider à ce retour sur investissements en terme de visibilité. Ça me semble logique. Mais globalement, il faut trouver un équilibre pour rester cohérent : je sais que je dois intégrer au maximum les noms des partenaires mais je ne vais pas faire un cadrage tordu au détriment de l'action. Le résultat doit rester séduisant.

L'Extreme 40 est une belle base de travail...

R : Oui, vraiment. J'ai travaillé longtemps pour Hobie Cat, ce qui m'a donné une connaissance du catamaran de sport ; un bateau vif, rapide à travers le Tiger, l'AF18. Mais là, ce ne sont pas des bateaux de 6 mètres, mais de 12 mètres, avec des mats de 18 mètres.

Quels instants recherchez-vous avec une flotte de onze bateaux, en l'occurrence ?

R : Il faut considérer la notion de masse, au départ par exemple, où je recherche une situation d'alignement. Ça contribue à l'esthétique. Ensuite, mon but est de saisir des portraits en situation, de la vitesse et l'eau bien sûr. Un splash ou une gerbe d'eau contribue aussi à la signature. Et puis, après ça il faut toujours essayer de chercher des angles surprenants, non conventionnels, avec le matériel élaboré à disposition.

Avez-vous une signature ? Vos photos ont-elles une pâte particulière ?

R : Ce serait prétentieux de répondre "oui" aujourd'hui. Il est encore trop tôt. Au début, on fait "à la manière de" car on est influencé par ses pairs ou des gens que l'on respecte. Après, on fait un mix et on aboutit à un style propre.

Quelles sont les complications du métier ?

R : On est tributaire de bateaux pilotés par des gens qui ne connaissent pas toujours le sujet. Ils peuvent être de bons pilotes sans avoir nécessairement l'œil photographique. Il nous faut donc être patient et pédagogues avec nos pilotes pour pouvoir les mettre en situation d'avoir des résultats. Pour certains clients, j'essaie de venir avec mon Zodiac semi-rigide de 5 m 80, assez marin, facile à transporter et qui ne fait pas trop de vagues. J'essaie de me piloter moi-même. Ça me donne une indépendance précieuse pour assurer les points de vue qui m'intéressent. Autrement, ça n'est pas exactement le mien. La semaine dernière, par exemple, j'ai fait 1500 kilomètres pour acheminer mon Zodiac à Porto Cervo, aux championnats du monde de Meljes 24. Mais en échange, ça libère du stress car je maîtrise ce que je fais.

Tous ces investissements sont-ils rentables économiquement pour vous ?

R : Honnêtement, c'est dur. C'est un métier-passion, pas un métier que l'on fait pour l'argent. Des photographes vraiment brillants comme Carlo Borlinghi, Gilles Martin-Raget et d'autres, gagnent bien leurs vies, mais ils ont mis du temps. Cela fait vingt-cinq ans qu'ils sont sur le marché. Je ne suis dans le métier que depuis dix ans, et il devient de plus en plus dur. Je m'en sors en faisant des choix de vie et en obtenant des rémunérations qui ne sont pas quantifiables par l'argent, comme naviguer pendant une manche à bord d'Alinghi à iShares Cup par exemple. D'autres paieraient cher pour ça ! Tout n'est pas quantifiable par l'argent et le fait de voyager, rencontrer des gens et de partager des moments d'émotions est une position agréable. D'autant que j'en garde des traces par des images. En fait, je ne travaille pas mais j'exerce un métier. L'argent n'est pas la finalité même si je devrais finir par gagner un jour correctement ma vie.

Comment vois-tu la démocratisation d'images tel que l'a fait Philip Plisson ?

R : Professionnellement parlant j'ai du respect pour ce qu'il a fait car il a ouvert des portes, mais humainement parlant je suis plus réservé sur le personnage. J'apprécie plus quelqu'un comme Gilles Martin-Raget, excellent photographe doublé d'un homme de qualité, modeste et humble, et qui ne s'est mis en avant autant qu'il aurait pu. Ce sont des gens qui ont donné une autre échelle à la photographie de mer, tout comme Carlo Borlinghi. Plisson a aussi été le premier à utiliser l'hélicoptère, avec des moyens assez onéreux. Ils ont aussi eu la chance d'avoir en Daniel Manaury un pilote d'exception, qui était responsable à 70% du résultat. Il avait une bonne connaissance des bateaux et savait trouver la bonne lumière. Il a pris sa retraite mais de nouveaux pilotes arrivent, dans la même veine. La symbiose avec ces gens-là est capitale car à raison de 20-25 euros la minute d'hélico l'erreur coûte cher !

Quel matériel avez-vous ?

R : Je suis arrivé tard dans le marché, en 1999, au moment de la mutation vers le numérique. Pour me créer un intérêt, il me fallait maîtriser les nouvelles technologies. J'y ai cru de suite. Depuis novembre 1999, je travaille exclusivement au numérique. J'en suis à ma neuvième ou dixième génération de boîtier. J'ai trois Nikon D3 car je préfère ne pas avoir à changer d'objectifs sur l'eau car l'environnement est agressif. J'ai trois focales complémentaires, de 24 à 600 mm.

Et puis, il faut livrer rapidement...

R : Oui, et il existe avec les collègues un rapport de force pas toujours très agréable. On est dans une course de vitesse que l'on paie à un moment ou un autre. Je pense que le temps se venge des choses faites sans lui.

Quels sont vos projets ?

R : A un moment;, il faudra être lucide. J'ai la sensation de faire du sport car il faut être en bonne condition physique. C'est directement lié à mon attention : si je suis fatigué, je rate des images. A un moment, le corps me rappellera à l'ordre. Ce sera alors le moment de lancer des diversifications. J'ai par exemple acheté un hangar de 200 m2 que j'ai transformé en loft. Mon objectif est de faire un studio pour de la recherche personnelle, un travail de portraitiste qualitatif, comme par exemple du portrait à l'ancienne.

Quelle est votre plus belle photo ?

R : Je ne l'ai pas encore faite.

Photos : Pierrick CONTIN
Eurosport - Propos recueillis à Hyères par Stéphane VRIGNAUD

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